La Libre Pensée participe à un Colloque de l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité sur la fin de vie

Pour nous suivre

Son Président Jean-Sébastien Pierre donne le point de vue de la Libre Pensée, à partir d‘une question posée par une journaliste.

Question posée par Madame Anna Rousseau, Journaliste

Jean-Sébastien Pierre, vous êtes très attaché à la laïcité. Or, les grandes religions monothéistes sont quasi unanimes : elles ne veulent pas d’une telle loi. Il y a quinze jours, le Pape a réaffirmé, dans l’avion qui le ramenait de Marseille à Rome, que « l’on ne joue pas avec la vie, ni au début, ni à la fin ». Pourtant, les trois quarts des catholiques français sont favorables au libre choix de mourir dans la dignité. Mais ils sont aussi très attachés au Pape. Comment ne pas heurter cette population ? Diplomatiquement, faut-il entendre l’Eglise, ainsi que les divers chefs religieux, même si son avis n’est que consultatif ?

Ne pas discuter ouvertement avec les principales religions, même si c’est pour arriver sur un constat d’échec et passer outre leur avis, est-ce une erreur philosophique ?

Tout d’abord, je voudrais remercier vivement l’ADMD de cette invitation et attester de mon accord fondamental avec le magnifique discours de Jonathan Denis votre Président, et avec celui de Matthias Savignac, Président de la MGEN, ma mutuelle puisque je suis enseignant. Nous souhaitons pleinement nous inscrire dans le Pacte progressiste que votre association et votre mutuelle ont initié.

Rappelons une phrase provenant des documents de votre association : “Il n’y a pas de principe supérieur dans notre République qui oblige les patients en fin de vie à vivre leurs souffrances jusqu’au bout.”

Nous, Libres Penseurs en sommes profondément d’accord, mais si cette phrase est effectivement juste, c’est parce que depuis décembre 1905, la République est laïque et l’État séparé des Églises. En ce sens, les principes supérieurs du droit s’inspirent de la Philosophie des Lumières et de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen dans ses articles 4 et 5 :

« Article 4 : La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi.

Article 5 : La loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas. »

Effectivement, dans l’avion qui le ramenait de Marseille à Rome, Jorge Bergoglio connu sous le nom de « pape François » depuis son accession au « trône de Saint-Pierre » donnait une conférence de presse le 23 septembre dernier. Il y a fait une déclaration fracassante qui se référait à son entretien avec Emmanuel Macron : « J’ai parlé clairement (..): j’ai donné mon avis. Avec la vie, on ne joue pas. Ni au début ni à la fin. Aujourd’hui, soyons attentifs aux colonisations idéologiques qui (…) vont à l’encontre de la vie humaine ».

« On ne joue pas ! » traiter les citoyens comme de petits enfants, c’est pitoyable. On jouerait avec la vie quand l’Église cherche à monopoliser la mort, comme toujours. C’est aussi très clair : la discussion avec l’Église catholique, apostolique et romaine s’arrête là. Intangible sur ses dogmes provenant, selon elle, des commandements d’un Dieu, il ne saurait être question de promouvoir la loi d’ultime liberté que nous attendons tous, approuvée et demandée par 90% de la population, comme vous l’avez justement rappelé.

En ce sens, la discussion avec les représentants du Catholicisme a eu lieu. Voyons ce qu’il en est des autres grandes religions monothéistes :

Église orthodoxe :

Pas de pape, pas d’équivalent. Communion d’Églises indépendantes « autocéphales » donc dirigée par son propre synode habilité à choisir son primat. Cependant le Patriarche de Constantinople a une prévalence honorifique, ce qui lui permet parfois de parler au nom de l’Église orthodoxe dans son ensemble. Actuellement c’est Bartholomée Premier (depuis 1991). Plutôt discrets, ils semblent s’aligner sur l’Église d’occident en la matière. C’est non à tout, sauf peut-être pour l’Église Russe qui pense que ni le moment de la naissance, ni celui de la mort ne sont clairement définis.

Protestants :

Christian Krieger, Président de la Fédération protestante de France, a jugé le jeudi 9 mars 2023 sur franceinfo “inopportun de faire évoluer le cadre législatif” sur la fin de vie alors que la loi Claeys-Leonetti “n’est pas pleinement mise en œuvre“.

 

 

Juifs :

La loi de base : dans le Shoul’hane A’hour dans le Tome Iore Dea chapitre 331 alinéa 1 et mêmes références dans le livre a’hour hashoul’hane : « Il est interdit de faire quoique ce soit pour hâter la mort. Et même si nous voyons qu’il souffre beaucoup dans son agonie et que la mort lui serait douce, il nous est néanmoins défendu de faire quoique ce soit pour hâter la mort, le monde et ce qu’il contient appartiennent à Dieu et tel est sa volonté». La loi nous dit qu’il est interdit d’abréger la vie d’un malade. Cette loi est basée sur un verset du Prophète Ezéchiel qui rapporte une parole de Dieu : « Toutes les vies sont à moi, la vie du père comme la vie du fils, elles sont à moi ». Dieu nous dit qu’il donne la vie, c’est lui qui a le droit de la reprendre quand il le désire et en aucun cas un être humain pourra intervenir dans cette décision. »

Là aussi la discussion est close. Le Grand Rabbinat d’Israël s’allie à Rome pour réaffirmer son opposition à l’euthanasie sous toutes ses formes. Cela dit, il faut reconnaître que les commandements de la loi juive ne s’adressent qu’aux croyants de cette religion. Ses dignitaires ne se sont opposés à aucune des lois dites de bioéthique.

Musulmans :

 

Aucune autorité centralisée. Personne n’a la parole pour tous, relativement discrets aussi sur le sujet. On note cependant que de hauts représentants des trois religions monothéistes – Christianisme, Judaïsme et Islam – ont signé et remis au pape François lundi 28 octobre 2019 un document dans lequel ils se prononcent fermement contre l’euthanasie et le suicide assisté «qui sont intrinsèquement et moralement répréhensibles». Le représentant des Musulmans était le Président du Comité central de la Muhammadiyah indonésienne (association socio-culturelle musulmane), le docteur Samsul Anwar. Ce document se prononçait aussi fermement pour garantir le droit des médecins à l’objection de conscience.

Selon le Coran, mais ce n’est pas très clair, la mort ne peut être accélérée. Son heure n’appartient qu’à Dieu.

Le débat a eu lieu et il est clos. Au moins pour les quatre religions monothéistes la réponse est claire et ne souffre aucune discussion : c’est non et absolument non, au nom des commandements divins. Donc, la discussion est totalement bloquée sur ce sujet. Obtenir une loi permettant le suicide assisté et l’euthanasie sous quelque forme que ce soit est donc faire œuvre laïque et c’est une guerre contre les religions. Refuser la transcendance, faire place à la raison contre le dogme, On n’en finit pas depuis 1905 d’assumer cette rupture.

Le report de la loi, mauvais signe ?

Emmanuel Macron reporte à 2024 la présentation de la loi à l’Assemblée. Emmanuel Macron assiste à la Messe du Pape au stade vélodrome de Marseille. Ce point à lui seul est extrêmement choquant. Rien ne le lui permet, rien ne l’y oblige. On peut à la rigueur considérer le Pape comme un chef d’état, le minuscule Etat du Vatican, ce que par ailleurs nous contestons, mais l’ONU aussi, qui ne lui donne qu’une voix consultative. Admettons. Si c’est un « Chef d’Etat » on peut admettre une ou plusieurs rencontres diplomatiques à l’occasion de sa venue mais, quand il célèbre une messe, il officie comme ecclésiastique et Macron ne peut prétendre être là à titre privé. Il ne l’a d’ailleurs même pas prétendu.

Il y a donc rupture de la laïcité, rupture de la Séparation des Eglises et de l’Etat. Nous ne sommes pas les seuls à l’avoir dénoncé, bien des commentateurs l’ont relevé dans la presse. Macron a rencontré le Pape en l’entretenant du projet de dépôt de la loi de fin de vie. Le Pape a répliqué vertement dans les termes que vous connaissez. Et le dépôt du projet est reporté sine die ! Y-a-t-il un lien ? On peut espérer que non. Il est temps que la France laïque cesse d’être la fille ainée de l’Église, celle de Rome en l’occurrence. Cependant Emmanuel Macron ne s’est guère illustré par des lois de liberté. Rappelons les célèbres lois liberticides promulguées en 2022, la loi dite, improprement « Sécurité et Liberté » et la sinistre loi « visant à conforter les principes de la République » dite de manière plus concise « loi Séparatisme ».

Elle est attentatoire à deux lois de liberté faisant partie du bloc constitutionnel en France : la loi de 1901 sur les associations (en instaurant le « Contrat d’Engagement Républicain ») et la loi de 1905 en définissant certains cultes comme « reconnus », ceux qui acceptent ce cadre. Nous ne nous lasserons pas d’exiger son abrogation pure et simple et nous soutenons toutes les associations qui refuseraient de signer le fameux CER et en subiraient du coup des représailles.

Les liens de Macron avec l’Église catholique sont connus : n’a-t-il pas parlé de réparer le lien abîmé entre l’Eglise et l’Etat ? Non, Monsieur Macron, ce lien n’est pas abîmé, il est purement et simplement rompu, autorisant ainsi la liberté de conscience. La loi, (quel sera son contenu ?) est approuvée dans son principe par une majorité de citoyens, y compris de Catholiques (75% selon les sondages). Aussi puis-je répondre à une question que vous m’avez posée ? Comment ne pas heurter la population religieuse ? Actuellement, et c’est une manifestation à mon sens salutaire de la sécularisation du pays, le Pape heurte 75% de la population catholique, La Libre Pensée et l’ADMD n’en choquent que 25%.

L’attachement à l’Église de beaucoup de Catholiques et donc au Pape ne signifie plus l’obéissance aveugle à une morale imposée, surannée et contraignante. Ce n’est pas le seul domaine dans lequel apparaît ce schisme entre l’appareil ecclésiastique et la population religieuse. Sur la conception et la naissance, l’appareil de l’Eglise a perdu la bataille de l’opinion. Il n’a pas renoncé. Les tristes exemples des USA, de la Pologne et de la Hongrie sont là pour nous rappeler que l’Eglise ne connait de recul qu’élastique : en tension et prêt à rebondir dès qu’un gouvernement favorable leur en donne le moyen.

Ne pas heurter les croyants :

Qui est contre la liberté ? Les croyants sont pleinement citoyens. Ils ont liberté de conscience et droit d’expression, personne ne le leur conteste. Cependant, personne n’imagine une loi qui obligerait les citoyennes et les citoyens au suicide assisté en cas de maladie mortelle. Jamais aucune loi dans le monde n’a incité les femmes à pratiquer l’Interruption Volontaire de Grossesse.

Rappelons une fois de plus, tant pis si je me répète, l’article 5 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen : Article 5 : La loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas. »

La promulgation d’une loi de liberté donnant des possibilités nouvelles ne heurte aucune vie, seulement des consciences. La question doit être posée, sans violence ni anathème mais en toute clarté et en toute conscience : qui êtes-vous pour juger que je n’ai pas à décider de ma mort ?

Seriez-vous, par vos croyances, dépositaires d’une morale primant la volonté de chacun ? Oui, c’est une question philosophique, oui c’est une prise de position morale, mentale mais rationnelle : le primat de l’individu et de sa liberté sur toute transcendance.

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